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Lors d’un dîner avec des amis au cours duquel nous évoquions nos programmes du week-end, j’ai fait part de mon intention de me rendre au Thiès Fashion Show, organisé par Massamba Diongue – le créateur de Mass’Attitude. Un de mes amis, qui fait pourtant preuve d’une grande ouverture d’esprit, m’a regardé d’un air perplexe, me demandant : « A quoi ça sert d’aller à un Fashion Show ? ». Je lui ai répondu que c’était une façon de soutenir le secteur des industries culturelles et créatives du Sénégal. Si c’est assez évident pour moi de participer à ce type d’événement étant donné mon appétence pour le domaine de la mode, cette question posée de but en blanc m’a fait réfléchir aux raisons pour lesquelles j’aime assister à des défilés de mode à Dakar, moi qui ne suis pourtant pas de ce secteur. Je vais tenter ici de répondre à cette question, en espérant convaincre cet ami et bien d’autres personnes !
La mode, un secteur qui crée de la valeur
La mode fait partie du fleuron des Industries Culturelles et Créatives* en Afrique. L’UNESCO lui a d’ailleurs consacré un rapport intitulé “Le secteur de la mode en Afrique : tendances, défis et opportunités de croissance”. Lors de la présentation de ce dernier fin 2023, la Directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay affirmait : « Le potentiel est énorme, évidemment sur le plan économique, mais aussi pour l’insertion des jeunes, pour l’autonomisation des femmes et pour le rayonnement culturel du continent à travers le monde. ». Génératrice d’emplois locaux, la mode est aussi un puissant levier pour donner leur chance aux jeunes qui veulent se lancer dans le secteur.
L’Ambassadeur d’Allemagne au Sénégal, Monsieur Sonke Siemon, le rappelait lors de son discours d’ouverture du défilé à l’occasion du marché de Noël de la coopération Sénégalo-Allemande : ”La créativité est un domaine dans lequel le Sénégal excelle et qui est créateur d’emplois, notamment pour les jeunes. En présentant le travail des designers sélectionnés ce soir, nous souhaitons envoyer un message fort à cette jeunesse : réussir au Sénégal c’est possible.”.
Si lors d’un Fashion Show, les yeux sont braqués sur les mannequins qui défilent puis sur les designers, il faut bien avoir conscience que cela n’est que la partie émergée de l’iceberg. Pour chaque défilé, il y a toute une équipe de professionnels qui œuvrent en coulisses et sans lesquels la magie ne peut opérer : make-up artistes, coiffeurs, photographes professionnels, ingénieurs du son, techniciens, assistants, etc. Ainsi, durant la Dakar Fashion Week c’est près de 200 personnes qui sont mobilisés à temps plein, sans compter les professionnels de la restauration ou de l’hôtellerie. De nombreux spectateurs font le déplacement pour assister à cet événement annuel devenu incontournable en Afrique de l’Ouest, ce qui a aussi un impact positif pour le tourisme et les boutiques de la capitale dakaroise. D’ailleurs, chaque année l’équipe de la Dakar Fashion Week (DFW) met un point d’honneur à trouver un nouveau lieu emblématique pour l’organisation du Grand défilé : une forêt de baobabs en 2020, l’île de Gorée en 2022, l’hôtel Azalaï en 2023… Cette année c’est au sein du Parc forestier et zoologique de Hann que se tiendra le défilé de clôture. Une manière de mettre systématiquement en valeur le patrimoine de la ville de Dakar.
Ainsi, en achetant un ticket pour le Grand Défilé de la Dakar Fashion Week vous contribuez à faire prospérer cet écosystème, à valoriser le travail de talentueux designers, et de tous ceux qui contribuent, de près ou de loin, à l’organisation de cet événement.
La mode, un patrimoine culturel
On peut apprendre beaucoup sur la culture d’un pays en s’intéressant à la mode. Toute personne qui arrive au Sénégal se rendra très vite compte que l’habillement est au cœur de la culture sénégalaise. Notamment le vendredi, où chacun revêt une tenue traditionnelle, ce qui est absolument magnifique. “La femme sénégalaise est réputée pour son élégance à travers tout le continent. Elle sait rester élégante en toute circonstance, même pour cuisiner !” me confiait une dame rencontrée au défilé de mode du collectif des fashion designers de la Biennale Dak’Art2024.
La mode permet aussi le maintien de savoir-faire ancestraux dont certains auraient tendance à disparaître si les créateurs ne contribuaient pas à leur maintien. Des designers, telle qu’Aida Sene de la marque Setsy, ont pris le parti d’utiliser des textiles africains comme le pagne tissé, valorisant cette tradition commune à de nombreux pays d’Afrique. Pour Diaman Ndati, fondatrice de Ndati, valoriser le patrimoine africain est un leitmotiv, que ce soit par le choix des textiles qu’elle déniche d’Abidjan à Lagos, ou lorsqu’elle nomme ses créations d’après les femmes ayant marqué l’histoire du continent.
Maguette Gueye, créatrice de Magci Dakar, s’est quant à elle lancée dans un projet digne d’un travail de thèse universitaire, en recréant la penderie traditionnelle des différentes ethnies du Sénégal. Un travail colossal, qui l’a amenée à parcourir le pays et qui a été publié sous la forme d’un catalogue en ligne : “La penderie de Maam”. D’autres s’inspirent d’une région en particulier, telle que Zeyna Diakite, styliste ayant créé Zeyafrica, et qui a choisi pour sa dernière collection de s’inspirer de la tradition Bambara, rendant ainsi hommage à son père. Loin d’être une activité futile, assister à un fashion show peut s’avérer au contraire très instructif !
La mode, une école de la vie
Les événements dédiés à la mode à Dakar sont l’occasion de rencontrer des créateurs talentueux, qui restent accessibles même pour les plus connus d’entre eux. Ils n’hésitent pas à partager leur parcours, tout en conseillant les jeunes qui souhaiteraient se lancer dans ce domaine. Ainsi, la séance de projection du film “Green Access à Berlin”, organisée lors de la précédente édition Dakar Fashion Week, avec le Goethe Institute, s’est littéralement transformée en masterclass ! Abdou Lahad Gueye, DA d’Algueye, a notamment rappelé à tous l’importance de la technicité dans l’exercice de ce métier, incitant les futurs créateurs de l’assemblée à se former, en s’appuyant sur des structures comme le 3FPT pour accéder à des formations qualifiantes à des coûts raisonnables.
Pour Elie Kuame, créateur de la Maison Elie Kuame, patience, résilience et constance sont clés pour réussir dans ce secteur. Selon lui, il ne faut pas chercher à éviter l’erreur à tout prix lorsqu’on débute, l’erreur pouvant même s’avérer être une source d’apprentissage et de progression. Il nous a particulièrement ému lorsqu’il a partagé avec l’audience son expérience personnelle, le vol de l’intégralité de sa collection à New-York, ce qui lui valu une sévère dépression 8 mois durant. En faisant preuve de résilience, il a pu apprendre de cette expérience douloureuse et se relever plus fort, jusqu’à créer sa propre Fashion Week à Abidjan en 2024. Autant dire que j’ai hâte de voir ce que nous réserve la projection du documentaire de Kelly Kirby consacré à Adama Paris, ce dimanche 8 décembre !
La mode, pour rêver et s’inspirer
Cette année la DFW est placée sous le signe de l’art : “Fashion is Art”. Cette 22ème édition de la DFW coïncide d’ailleurs avec la dernière semaine de la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar. Le Comité d’organisation de la Biennale 2024 a particulièrement mis en lumière le travail des designers sénégalais en leur dédiant un espace au sein de l’exposition internationale dans l’Ancien Palais de Justice. “La mode comme toute forme d’art crée des émotions, elle rassemble, nous fédère, et ce quelle que soit notre nationalité, notre religion ou notre appartenance politique.” explique Adama Ndiaye, créatrice de la marque Adama Paris et fondatrice de la Dakar Fashion Week.
Dans un contexte où l’actualité mondiale peut s’avérer anxiogène, embarquer pour un voyage au sein de l’univers créatif des designers mode du Sénégal est une parenthèse hors du temps fort appréciable. De plus, les défilés de la capitale sénégalaise offrent toujours 2 shows en 1 ! Un défilé officiel, sur le podium et un défilé “officieux”, celui des invités qui rivalisent d’élégance, d’audace et surtout de liberté. Car “en Afrique la mode n’est pas encore soumise aux diktats des bureaux de tendance”, comme le fait remarquer Adama Ndiaye, “ce qui laisse une grande liberté d’expression aux créateurs”. Et finalement, je pense que c’est cela que j’aime le plus dans chaque fashion show : admirer toute cette beauté, apprécier cette liberté et en repartir très inspirée.
J’espère que cet article aura donné à cet ami perplexe l’envie de se rendre à l’un des nombreux fashions shows du Sénégal, en tout cas je lui souhaite d’en avoir l’occasion. Mais soyez avertis : vous risquez de devenir addicts tant les designers du Sénégal et du continent regorgent de créativité et de savoir-faire !
Je conclurai sur cette citation d’Antoine de Saint-Exupéry : “c’est véritablement utile puisque c’est joli”.
Au plaisir de vous croiser à la Dakar Fashion Week !
Pour acheter votre ticket : RDV à la boutique Adama Paris, sur la corniche.
Un grand merci à tous les talentueux photographes qui m’ont autorisée à utiliser leurs images pour illustrer au mieux cet article. N’hésitez pas à découvrir leur travail en cliquant sur les liens en légende de chaque photo.
* Industries Culturelles et Créatives (ICC) : les secteurs d’activité ayant comme objet principal la création, le développement, la production, la reproduction, la promotion, la diffusion ou la commercialisation de biens, de services et activités qui ont un contenu culturel, artistique et/ou patrimonial. Source : UNESCO – Politiques pour la créativité: guide pour le développement des industries culturelles et créatives, page 17.